Troisième pays le plus touché du continent africain, l’Égypte connaît un recul épidémique depuis le mois de juin qui favorise la reprise de son secteur touristique. Toutefois, la crise du coronavirus a révélé dans ce pays de nombreuses atteintes aux droits humains, dans les milieux hospitalier et pénitentiaire notamment.
Le bilan – Le premier pays d’Afrique touché
Dès le 14 février, le premier cas de coronavirus sur le sol égyptien est détecté. Il s’agit de la première infection sur le continent africain : un ressortissant chinois, arrivé sur le territoire par l’aéroport international du Caire.
Quelques trois semaines plus tard, c’est le navire de croisière égyptien Nil MS River Anuket qui est touché par la COVID-19. Après l’infection de douze membres de l’équipage, ce sont quarante-cinq personnes qui sont testées positives au coronavirus. Le bateau qui circulait sur le Nil entre Assouan et Louxor est alors placé en quarantaine.
L’épidémie de coronavirus se propage alors en Égypte et atteint son niveau le plus élevé aux mois de mai et de juin, comme le montrent les courbes épidémiologiques.

Depuis, même si le nombre d’infections quotidiennes reste toujours supérieur à 1 000, les chiffres de cas actifs sont en baisse. L’Égypte compte à ce jour 94 875 cas confirmés et 4 930 décès. Ces chiffres sont toutefois à interpréter avec prudence. Certains spécialistes estiment que le nombre de cas réels dans le pays pourrait être cinq fois plus élevé que les chiffres officiels, notamment à cause du manque de tests.

Les mesures – Une réaction tardive et en demi-teinte ?
Les premières mesures de lutte contre l’épidémie ont été prises le 14 mars par les autorités égyptiennes, soit un mois après l’arrivée du coronavirus sur le territoire. Elles ont alors mobilisé un plan anti-crise de 15 milliards de dollars en soutien à l’économie nationale.
Sur le plan sanitaire, le trafic aérien a été suspendu, les écoles, les sites religieux et touristiques ont eux aussi été fermé leurs portes. Des recommandations de distanciation sociale ont été transmises à la population, sommée de les respecter sous peine d’emprisonnement.
Toutefois, cette gestion de crise a été jugée par beaucoup comme tardive et insuffisante. Mohamed, un jeune étudiant du Caire, témoignait en avril : « les mesures adoptées par le gouvernement depuis quelques temps n’ont, hélas, pas changé grand-chose à nos modes de vie ».
La reprise – Une réouverture progressive centrée sur le tourisme
Dès le 4 mai, l’Égypte a amorcé son déconfinement en permettant la réouverture de certains hôtels selon un protocole sanitaire strict. Ce dernier consistait en un contrôle régulier des températures, la mise à disposition de matériel de désinfection, la présence d’une clinique dans l’enceinte de l’hôtel pour permettre les dépistages, ainsi qu’un bâtiment ou étage de l’hôtel dédié à la quarantaine.
Le mois de juillet a quant à lui vu la réouverture de certains vols internationaux en direction de zones peu touchées par l’épidémie, au Nord du pays notamment. Les régions côtières du Sud-Sinaï, de la mer Rouge et du Marsa Matrouh ont ainsi pu accueillir des touristes étrangers.

Le site des pyramides de Gizeh a pu accueillir de nouveau du public à partir du 1er juillet avec des contrôles de température et une distanciation sociale à l’entrée.
L’enjeu majeur de la reprise économique égyptienne se situe donc dans l’activité touristique. Poumon économique du pays, ce secteur représente entre 12 et 15% du Produit Intérieur Brut (PIB). Selon le ministère du tourisme, la pandémie aurait fait perdre 1 milliard de dollars par mois à l’industrie. Cette situation rend donc un retour rapide des touristes, vital pour les acteurs locaux.
Afin d’encourager la reprise, le visa touristique a même été supprimé entre le 1er juillet et le 31 octobre prochain.
FOCUS – Une menace de plus en plus lourde sur les droits humains
Avant même l’arrivée du coronavirus, le régime militaire du général al-Sissi portait déjà régulièrement atteinte aux droits humains, notamment à la liberté d’expression, la liberté de réunion et aux conditions de détention des prisonniers.
Arrivé au pouvoir en 2013 après la chute du Président Mohamed Morsi issu du groupe des Frères Musulmans, Abdel Fattah al-Sissi est à la tête d’un régime militaire considéré comme dictatorial par de nombreux analystes. La Constitution égyptienne de 2014 institue pourtant un régime fondé sur « la primauté du droit », le « pluralisme politique » et « la séparation des pouvoirs ».

Toutefois, même avant la pandémie, ces principes n’étaient pas entièrement respectés dans les faits. L’Égypte est par exemple sous état d’urgence depuis un attentat revendiqué par un groupe affilié à l’État Islamique en 2017. Alors que ce régime juridique particulier ne peut excéder une durée légale de six mois selon la Constitution, il ne cesse d’être renouvelé par le gouvernement depuis trois ans.
Mais la crise du coronavirus a également donné l’occasion au Président al-Sissi de renforcer ses pouvoirs. En mai, une loi d’urgence a été votée dans le cadre de la lutte contre l’épidémie. Elle permet au Président de fermer des écoles, de suspendre certains services publics, d’interdire les rassemblements publics et privés ou encore de limiter le commerce de certains produits. Face à cette situation, l’ONG Human Rights Watch a déclaré : « le gouvernement du président Sissi utilise la pandémie pour étendre, et non réformer, la loi d’urgence abusive en Égypte ».
Des soignants à bout de souffle
Le caractère autoritaire du régime du Président al-Sissi s’est particulièrement manifesté dans la lutte contre l’épidémie de coronavirus, notamment face au personnel soignant.
Dès l’arrivée du virus sur le territoire, ce dernier a alerté sur le manque de préparation du système hospitalier : peu ou pas de masques dans les hôpitaux, stérilisation déficiente des outils de soins et nombre réduit de respirateurs disponibles. Le syndicat égyptien des médecins a porté l’attention sur les risques importants courus par les soignants, avertissant d’« un possible effondrement total » du système de santé sans réaction des autorités.

À ce jour, il est estimé que 68 professionnels de santé sont décédés des suites du coronavirus en Égypte et plus de 400 autres ont été testés positifs à la maladie depuis début février. Il est également possible que ces chiffres soient sous-estimés. Ces derniers mois, de nombreux médecins sont décédés des suites de maladies pulmonaires proches de la COVID-19, comme la pneumonie par exemple.
À ces alertes, les autorités égyptiennes ont souvent opposé intimidation et répression. Certains personnels soignants ont dit avoir reçu des menaces par messages vocaux de la part de cadres d’hôpitaux pour les obliger à se rendre sur leur lieu de travail. Certains ont par exemple été menacé des « sanctions les plus sévères » comme un signalement à l’Agence nationale de sécurité (ANS), des poursuites judiciaires ou des retenues sur leur salaire. Le gouverneur du Nord Sinaï a même écrit dans une lettre au personnel soignant : « tout médecin ou membre du personnel infirmier qui refuse de faire son travail ou qui s’absente de son travail sera convoqué par l’ANS ».
Au-delà de ces menaces, certains médecins qui avaient dénoncé l’état du système de santé égyptien ont parfois été arrêtés et emprisonnés. Cela serait actuellement le cas pour huit d’entre eux – six médecins et deux pharmaciens.
Le Dr Badawi a par exemple été arrêté le 27 mai dernier à son domicile après avoir rédigé un article critique envers les mesures prises par le gouvernement contre la COVID-19. Il y dénonçait notamment les lacunes structurelles du système de santé égyptien.
Un système pénitentiaire arbitraire

La pandémie de coronavirus a également été l’occasion d’inquiétudes au sujet des conditions de détention des prisonniers.
Depuis le 10 mars dernier, les détenus n’ont plus droit aux visites de leurs proches ou au parloir afin d’éviter une entrée éventuelle du coronavirus dans les prisons. Toutefois, la surpopulation des prisons semble tout de même avoir permis la propagation du virus dans les centres de détention. Aida Seif Al Dawla, psychiatre du centre égyptien Al-Nadim pour la réhabilitation psychologique des victimes de torture témoigne ainsi : « les prisons sont des lieux ultra-contagieux : surpeuplés, sans eau propre ni ventilation. Depuis l’interruption des visites en mars, certains détenus n’ont jamais quitté leur cellule. D’autres ne sont pas sortis à l’air libre depuis le début de leur détention ».
Depuis le début de l’épidémie en février, l’organisation indépendante Committee for Justice a estimé qu’au moins 14 prisonniers étaient décédés de la COVID-19 dans un total de dix centres de détention. Toutefois, ces chiffres pourraient également être sous-estimés.
En mai, le pouvoir a également prolongé la détention provisoire de 1 600 prisonniers. Cependant, les garanties juridiques nécessaires à ce type de décision n’ont pas pu être respectées en raison du contexte sanitaire du pays. Cette décision a porté la durée de détention provisoire de nombreux détenus à plus de deux ans, durée qui constitue pourtant la limite légale de ce type de détention.
L’épidémie de coronavirus en Égypte semble donc avoir permis de nouvelles attaques envers les droits humains, notamment l’imposition de la censure dans les hôpitaux et le non-respect de l’État de droit dans les prisons.
Si le régime impose un règlement de censure aussi strict, cela est notamment dû à sa situation politique et économique. Alors que le pays était déjà grandement endetté auprès des institutions internationales comme le FMI, l’épidémie de coronavirus pourrait faire s’écrouler les piliers de son économie et le placer dans une situation plus délicate encore que celle dans laquelle il se trouve actuellement.