Depuis le 6 mars dernier, le Pérou est en état d’alerte. Dès la détection du premier cas de coronavirus sur son territoire, le pays a pris des mesures fortes de protection contre l’épidémie. Pourtant, le nombre de cas et de décès ne cesse d’augmenter. La situation est d’autant plus grave que le pays est confronté à une pénurie d’oxygène inédite. Pourquoi une telle situation ? Coup d’œil sur un pays au bord de la rupture.

Le bilan – Le deuxième pays d’Amérique latine le plus touché

Au 18 juin, le Pérou comptabilisait 240 908 contaminations et 7 257 décès liés à la COVID-19. Cela en fait le huitième pays dans le monde le plus touché et le deuxième d’Amérique latine. Toutefois, il est probable que ces chiffres soient sous-estimés. Selon les régions, il faudrait les multiplier par trois ou quatre, voire par neuf dans certaines régions.

Bilans croisés au Pérou et en France au 18 juin

Derrière ces chiffres persistent de nombreuses inégalités.

La répartition du virus n’est d’abord pas la même sur l’ensemble du territoire. Seulement cinq régions du pays comptabilisent près de 83% des cas. La capitale Lima est l’épicentre de l’épidémie : elle enregistre 70% des contaminations. Cette disparité peut être expliquée par une densité de population variable selon les régions. Par exemple, Lima concentre près d’un tiers de la population péruvienne, avec 10 millions d’habitants sur 33 millions au total.

Carte des principales villes péruviennes (SOURCE : AMERICAS)

Le système carcéral péruvien est aussi source d’inquiétudes. Le taux de contamination au coronavirus y est particulièrement élevé. Depuis le début de l’épidémie, 212 détenus sont décédés de la COVID-19 et une soixantaine est toujours hospitalisée des suites de la maladie. Du côté des surveillants, on compte 15 décès et 17 hospitalisations. En conséquence, les détenus se sont mobilisés contre cette situation sanitaire et plusieurs mutineries ont éclaté, dans la prison de Miguel Castro à Lima notamment. Neuf détenus y sont morts et 67 autres ont été blessés par les affrontements avec le personnel pénitentiaire. Pour éviter une trop grande proximité physique dans les prisons, le gouvernement a libéré 1 500 détenus condamnés à des peines légères depuis mars.

Des enjeux de santé publique ralentissent aussi la lutte contre le coronavirus. Au Pérou, nombreux sont ceux qui souffrent de facteurs de co-morbidité, comme l’obésité ou le surpoids. Ces conditions de santé rallongent souvent les durées de traitement en service de réanimation, parfois jusqu’à vingt jours. Une partie de la population manque aussi d’eau potable et ne peut donc pas respecter certaines mesures barrières.

Les mesures – Une réaction rapide et drastique… aux failles nombreuses

Dès le 16 mars dernier, le gouvernement péruvien a été parmi les premiers de la région à mettre en place des mesures de protection contre la pandémie. L’état d’urgence a été instauré, les frontières ont été fermées et le confinement général a été décrété. Ce dernier s’est accompagné de nombreuses mesures limitant les déplacements de la population. Un couvre-feu a été instauré de 18 heures à 5 heures du matin, le port du masque a été rendu obligatoire et des autorisations de circulation en fonction du genre ont été mises en place. Les hommes et les femmes ont des jours de sortie alternés et le dimanche est un jour interdit de sortie pour tous. Ces mesures restent en vigueur jusqu’au 30 juin.

Ce dispositif a permis de ralentir la progression de l’épidémie sur le territoire pendant les mois de mars et d’avril. Mais depuis mi-avril, les chiffres de contamination repartent à la hausse. Comment expliquer cette évolution, malgré la mise en place de mesures particulièrement strictes ?

Cette nouvelle progression de la COVID-19 au Pérou peut être expliquée par la structure économique du pays. Ciro Maguiña Vargas, médecin épidémiologiste explique : « Les Péruviens ont tenu quatre semaines [de confinement], mais dans un pays où 70% de la population vit du travail informel, les gens ont été obligés de sortir, poussés par la faim ». De nombreux travailleurs informels ont donc bravé les mesures de confinement pour s’assurer des revenus journaliers.

Les marchés alimentaires sont ainsi devenus des foyers de contamination importants. 86% des commerçants d’un marché de fruits de Lima ont par exemple été testés positifs au coronavirus. Depuis, de tels lieux de commerce ont été fermés par les autorités.

Désormais, la situation économique du Pérou est préoccupante. Alors que la croissance du pays était estimée à 3-4% pour 2020, elle pourrait chuter de 6-9% et plonger le Pérou dans une période de récession. Le secteur du tourisme (30% du PIB) pourrait être particulièrement touché.

Début avril, l’État a donc annoncé un plan d’aide de 26 milliards de dollars (12% du PIB). La ministre de l’économie et des finances, Mari Antonieta Alva a jugé ce plan « sans précédent, audacieux et responsable » dans le contexte d’une crise « sans précédent ». Dans un premier temps, 8,5 milliards de dollars seront injectés dans le système de santé, pour faire face à l’afflux de patients atteints de la COVID-19. Dans un second temps, l’aide financière ira aux entreprises. 8,5 milliards de crédits seront accordés à 350 000 entreprises, majoritairement à moins de dix salariés. L’État prendra aussi en charge 35% des salaires moins de 1 500 soles par mois (400 euros). Désormais, les entreprises sont autorisées à suspendre l’emploi de certains de leurs salariés, sans leur verser aucune rémunération pendant 90 jours. Enfin, le gouvernement a aussi mis en place une aide universelle pour les plus démunis, à hauteur de 380 soles (100 euros).

Santé – Un système au bord de la rupture

Mais l’une des inquiétudes principales au Pérou reste les carences du système de santé. Le docteur Ciro Maguiña Vargas décrit la situation : « avec 4% du produit intérieur brut, le Pérou est un des pays d’Amérique latine qui a investi le moins dans le secteur. Il manque plus de 11 000 spécialistes, les hôpitaux sont vieux et délabrés, le nombre de lits est largement insuffisant ». Et ce constat se ressent sur le terrain. À Iquitos, seuls deux hôpitaux et 25 médecins sont encore en service pour 500 000 habitants. Dans les hôpitaux de la capitale de l’Amazonie péruvienne, on manque aussi de matériel de soins et de protection.

Le service des urgences de l’hôpital Guillermo Almenera à Lima, le 22 mai (SOURCE : RODRIGO ABD/AP)

Au Pérou, les personnels hospitaliers sont aussi particulièrement touchés par le coronavirus. 640 médecins et 1 200 infirmières ont contracté la maladie depuis de mars.

Focus – Une pénurie d’oxygène inédite

Ce manque d’équipement médicale se ressent aussi dans la pénurie d’oxygène médical que traverse le Pérou. Avec la progression de la pandémie, les hôpitaux sont venus à manquer de cette ressource et la demande a augmenté de « 500 à 600% » selon le porte-parole de la sécurité sociale Essalud, Cesar Chaname. Les unités COVID-19 auraient besoin de 350 tonnes d’oxygène chaque jour. Mais la production de cette denrée devenue rare est 40% inférieure à la demande.

Désormais, les hôpitaux ne sont plus en mesure de fournir de l’oxygène aux patients sous assistance respiratoire. Ce sont les familles qui doivent fournir le précieux gaz pour leurs proches. Les Péruviens tentent par tous les moyens d’obtenir une bouteille d’oxygène et les files d’attentes ne cessent de s’allonger devant les fournisseurs spécialisés. « Dans l’hôpital, les patients n’ont pas d’oxygène, ils doivent l’acheter. J’ai dû acheter deux bouteilles pour pouvoir transférer mon père ici. Mais à l’intérieur, beaucoup de gens sous oxygène demandent de l’aide, plusieurs sont morts au petit matin. C’est une honte. » décrit cette femme devant un hôpital de Lima.   

Face à la pénurie, le marché noir et les ventes illégales ont aussi pris le relais, entraînant une forte spéculation sur les prix de l’oxygène. Le prix d’une bouteille a été multiplié par dix depuis le début de la pandémie, jusqu’à atteindre entre 3 500 et 6 000 soles (900-1500 euros). Cette somme est le plus souvent beaucoup trop élevée, alors plusieurs familles s’endettent ou se cotisent entre elles.

Pour mettre fin à la pénurie, le gouvernement a publié un décret d’urgence jeudi 4 juin. Il y fait de l’oxygène une « ressource d’intérêt stratégique ». Cette mesure rend donc l’utilisation médicale de l’oxygène prioritaire sur ses emplois industriels. De l’oxygène a aussi été importé des États voisins.

Seulement, l’exécutif est accusé d’une gestion tardive de la crise et de la pénurie d’oxygène. Dans un rapport du 6 juin, le défenseur des droits péruvien, Walter Gutierrez, accuse le gouvernement de ne pas avoir réagi assez vite, alors qu’il a été prévenu de la future pénurie dès fin avril. Pour le défenseur des droits, même les mesures mises en place début juin sont « insuffisantes ». Il juge qu’il est nécessaire de prendre des « mesures contraignantes » à l’égard de la production et de la vente de l’oxygène médical.

Alors que la pandémie de coronavirus ralentit en Europe et reprend en Asie, l’Amérique latine et le Pérou sont de plus en plus touchés. Le docteur Ciro Maguiña Vargas estime même que le Pérou est « au début de la crise de l’oxygène, il faut agir dans les plus brefs délais ».

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