Pour cette nouvelle série, Un autre angle s’intéresse à la situation de la pandémie de la COVID-19, pays par pays. Nous aborderons la progression du coronavirus et ses conséquences sur le tissu social, politique, économique ou culturel de pays emblématiques dans la propagation de l’épidémie ou de pays sur lesquels l’attention médiatique se porte moins.
Aujourd’hui, cap sur le Brésil, où le virus surcharge des réseaux de santé déjà fragiles, fracture la sphère politique et renforce les inégalités sociales et territoriales pré-existantes. Alors que l’épidémie ralentit en Europe et en Asie, l’Amérique est désormais le continent le plus touché, et le Brésil le nouvel « épicentre » de la pandémie selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Comment expliquer cette situation ? Si l’inaction du Président Jair Bolsonaro y est certainement pour quelque chose, le tissu social, géographique et religieux du Brésil permet lui aussi une propagation plus large de l’épidémie.
Une croissance exponentielle et sous-estimée de l’épidémie
529 405 cas et 30 058 décès : ces chiffres du 2 juin 2020 montrent la progression constante de la pandémie de coronavirus au Brésil.

Il est même fort probable que ces chiffres soient sous-estimés : le Brésil dispose d’un tissu sanitaire particulièrement fragile. En manque de tests, le personnel hospitalier craint qu’une part importante de la population ne se rende dans les structures de soin qu’en dernier recours et dans des établissements non adaptés au traitement du coronavirus. En réalité, le Brésil compterait donc bien plus de malades, voire de personnes mortes des suites de la COVID-19. Les scènes de funérailles à la chaîne sont désormais quotidiennes dans le pays.

Avant l’arrivée du virus, un État fédéral déjà fragile
INSTITUTIONS – Le Brésil est organisé selon un modèle de République fédérative : le territoire national se divise en États et en plusieurs grandes régions, le Norte, le Nordeste, le Sud, le Sudeste et le Centro-Oeste. Le pays s’organise donc en quatre niveaux de gouvernement : l’Union, les États, le District fédéral et les municipalités. Dans le contexte de la crise sanitaire, ce mode de gouvernement a compliqué la mise en place des mesures de lutte contre l’épidémie. Aucune mesure de confinement généralisé n’a été prise et il revient aux gouverneurs de chaque État d’appliquer ce type de mesures, comme dans la région de Sao Paulo depuis mars.
POLITIQUE – En 2018, le Brésil se dote d’un nouveau président, Jair Bolsonaro, ancien militaire et professionnel de la politique aux valeurs conservatrices et populistes. Il qualifie la pandémie d’« hystérie », le coronavirus de « petite grippe » et organise des bains de foule réguliers défiant la distanciation physique et les gestes barrières.

ECONOMIE – Malgré son rang de neuvième économie mondiale, la situation économique du Brésil ne s’améliore pas depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro. Il est critiqué pour ses faibles résultats économiques avec un taux de chômage à 11% et appelle donc à la reprise immédiate du travail.
SANITAIRE – Sur le plan sanitaire, on estime que 35 millions de personnes (14,3% de la population) n’ont pas accès à l’eau potable depuis leur domicile et que 100 millions d’habitants (47% des Brésiliens) dispose d’un accès précaire voire inexistant au service d’assainissement des eaux usées. Alors que le lavage des mains est l’une des mesures barrières principales et que le virus peut se transmettre par la voie des eaux usées, cette situation d’insécurité hydrique a de fortes conséquences sur la propagation du virus.
SANTÉ – Au niveau de son tissu hospitalier, le Brésil est sur le papier préparé à la gestion d’une pandémie telle que celle du coronavirus. Au sortir de la dictature militaire en 1988, le pays s’est doté d’un système de santé unifié, universel et gratuit censé prendre en charge les soins de 210 millions de Brésiliens. Seulement, ce dispositif manque aujourd’hui de financements et de matériel.
Un système de santé inefficace et inégalitaire
La première difficulté se situe au niveau du nombre de lits en soins intensifs disponibles. Alors que l’OMS recommande au moins un lit en soins intensifs pour 10 000 habitants, le Brésil ne peut en mettre à disposition qu’un pour 20 000 habitants. La COVID-19 a rapidement conduit à saturation les hôpitaux, souvent mal équipés pour répondre à ce nouveau danger sanitaire. La plupart des structures manque de matériel de protection (masques, gel, blouses) et de respirateurs.
Ensuite, c’est au niveau de l’étendue du territoire national – le plus grand d’Amérique du Sud – que se situe la deuxième fragilité du service de santé brésilien. Les habitants doivent en moyenne parcourir 155 km pour recevoir des soins médicaux adaptés au traitement du coronavirus. Ce chiffre peut même monter à 276 km dans les régions les plus défavorisées comme le Nord du pays.

Face à cette crise du secteur public, de nombreux hôpitaux privés se développent. Aujourd’hui, c’est la moitié des lits en soins intensifs qui y sont disponibles. Problème : pour pouvoir accéder à ce service de santé parallèle, les Brésiliens doivent payer une mutuelle. Ce fonctionnement renforce donc les inégalités sociales préexistantes face au coronavirus.

Les inégalités entre territoires mises en exergue par l’épidémie
Face à la propagation de l’épidémie, toutes les régions brésiliennes ne sont pas égales : alors que le Centre-Oeste est relativement moins touché, le Nordeste, le Sudeste et l’État d’Amazonas comptent le plus grand nombre de contaminations. Pourquoi de telles disparités ?

Ces trois régions disposent bien d’une caractéristique commune : leur densité de peuplement. Le Nordeste et le Sudeste sont les régions les plus densément peuplées du pays : la proximité des populations pourrait donc expliquer une plus forte contamination. L’État d’Amazonas quant à lui compte en son sein la zone franche de Manaus : de nombreuses entreprises asiatiques y sont installées et les entrepreneurs expatriés auraient donc pu faciliter l’arrivée de la pandémie au Brésil.
Dans le Nord et le Nordeste, le facteur de densité de peuplement n’est pas le seul à entrer en jeu : le taux de pauvreté semble décisif dans la propagation du coronavirus. Ces régions sont les plus pauvres du pays mais aussi les plus touchées par l’épidémie. Il semble exister une corrélation entre la proportion de la population vivant sous le seuil de pauvreté et le nombre de cas.

Dans de nombreuses régions, la réalité économique empêche donc bien souvent l’application de mesures de confinement. Dans les régions les plus pauvres ou dans les bidonvilles des favelas, les travailleurs informels sont nombreux. Ils sont donc dans l’obligation de se rendre sur leur lieu de travail pour disposer d’un revenu.
Dans le Sudeste, un tout autre facteur de propagation est à considérer : la forte présence de l’Église évangélique. Là encore, une corrélation entre la présence des évangéliques et le nombre de cas est observable. Ces figures religieuses nient l’étendue de la pandémie et la gravité de la maladie. Ils s’en remettent à la protection de Dieu et invitent toujours leurs fidèles à se rassembler dans les lieux de culte.

Face à cette situation de plus en plus critique, certains Brésiliens ont décidé de lutter contre le virus par eux-mêmes. Dans la favela de Santa Marta, les habitants désinfectent eux-mêmes les rues de leur quartier et le groupe Rap Resistencia alerte quant à lui sur l’inaction politique du Président Bolsonaro critiqué de toutes parts.