Le 27 décembre 2019, le gouvernement japonais a annoncé la conduite d’une mission militaire pour protéger les voies maritimes du sud du détroit d’Ormuz. Deux avions de patrouille maritime et un destroyer de renseignement seront envoyés pour « garantir la paix et la stabilité au Moyen-Orient », zone pétrolière devenue stratégique pour le pays.
Pourquoi le Japon, nation pacifiste depuis 1945, intervient-elle dans une zone aussi conflictuelle que celle-ci ? Dans un contexte de tensions accrues entre les États-Unis et l’Iran, la plupart des puissances occidentales ne se risquent plus à agir dans cette région. 2019 a été marquée par des attaques à répétition contre des navires pétroliers dans le Golfe et par les difficultés américaines à faire sortir de l’eau la « mission de sécurité maritime ». Cette coalition internationale escorte les navires de commerce lors de leur passage dans la région. Le président américain Donald Trump aura réussi à ne convaincre que le Royaume-Uni de lui prêter main forte en son sein.
Les enjeux de cette intervention militaire d’un an reconductible résident en réalité dans la dépendance japonaise aux importations énergétiques : sans ressources nucléaires depuis 2011, le pays trouve des substituts fossiles à l’étranger, notamment au Moyen-Orient.
Le pétrole, le substitut au nucléaire japonais depuis Fukushima
Derrière cette intervention dans les golfes d’Oman et d’Aden, se cachent donc des difficultés énergétiques importantes. Depuis la catastrophe de Fukushima en 2011, le Japon a dû arrêter l’ensemble de son activité nucléaire. La proportion de cette dernière dans le mix énergétique japonais est tombée de 11% à 1% entre 2010 et 2016.
Dès lors, comment remplacer cette ressource autrefois essentielle pour le fonctionnement du pays ? Si le recours au gaz, au charbon et aux énergies renouvelables est désormais plus fréquent, la conséquence majeure de cette catastrophe réside dans la dépendance du Japon aux importations énergétiques. Son taux d’auto-suffisance a été divisé par deux et 90% du pétrole du pays est aujourd’hui importé du Moyen-Orient.
Depuis Fukushima, le Japon a tenté de redéfinir ses prévisions énergétiques selon quatre axes : l’efficacité économique, l’indépendance et la sécurité énergétiques et le respect de l’environnement. Dans les faits, le gouvernement donne la priorité aux deux premiers objectifs : la prédominance actuelle du pétrole à hauteur de 39,2% en est l’illustration. Elle apparaît comme une solution de transition vers un nouveau modèle énergétique qui ne se différencie que très peu du système d’avant 2011.
Un modèle énergétique non revu en profondeur
En 2018, le cinquième plan fondamental de l’énergie donnait les lignes directrices de la politique énergétique japonaise pour les quatre ans à venir. Le gouvernement annonce alors son souhait de recourir davantage aux énergies renouvelables, tout en diminuant la proportion d’énergies fossiles et du nucléaire dans son mix énergétique.

Dans les chiffres, ces objectifs demeurent pourtant beaucoup plus flous. Le plan prévoit ainsi un recours aux énergies fossiles à hauteur de 76%, contre 89% aujourd’hui et un remplacement de ces ressources par un recours aux énergies renouvelables et nucléaires. Les autorités comptent aujourd’hui sur le déploiement de technologies thermiques dites propres, de centrales à charbon « à la pointe, émettant peu de gaz à effet de serre » ou encore de technologies de capture et de stockage de carbone.
La résurgence prochaine du parc nucléaire japonais est pourtant à prévoir car le territoire du pays présente de nombreuses difficultés quant au développement des énergies renouvelables. Le manque d’espace empêche le développement de l’éolien et du solaire, les technologies de stockage et le réseau électrique demeurent peu optimisés et les parcs nationaux font obstacle au déploiement de la géothermie.
Les résistances ne s’arrêtent pas là et se prolongent dans le champ politique. Les lobbies conservateurs laissent peu de marge de manœuvre au gouvernement dans le domaine des énergies renouvelables. Les divergences ministérielles sur le sujet sont également sources de difficultés.
Cette intervention japonaise envoie donc un signal fort à l’international. Alors que sa Constitution lui interdit de faire usage de moyens militaires pour résoudre des conflits internationaux, le Japon se voit dans la nécessité d’envoyer ses Forces d’Autodéfense au Moyen-Orient pour garantir sa sécurité énergétique. Dès lors, cette décision reflète la difficulté japonaise à repenser un modèle énergétique en accord avec les enjeux contemporains et ses contraintes territoriales.