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Depuis plusieurs mois, le président américain Donald Trump faisait pression sur les puissances internationales pour durcir les conditions de l’accord nucléaire iranien, menaçant de s’en retirer. Mardi 8 mai, il a acté cette décision.
- Que dit l’accord sur le nucléaire iranien ?
Après douze ans de négociations, l’Accord de Vienne ou Joint Comprehensive Plan Of Action (JCPOA) est finalement signé en 2015 par l’Iran, la Chine, les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni, la Russie, l’Union Européenne et l’Allemagne. Ce dernier repose sur trois piliers :
– La limitation du programme nucléaire iranien pendant au moins une décennie ;
– La levée des sanctions internationales contre l’Iran ;
– Le renforcement des contrôles internationaux vis-à-vis de l’activité nucléaire iranienne.
Plus concrètement, l’Iran doit se séparer de 97% de ses réserves d’uranium , abandonner les deux tiers de ses centrifugeuses (ses usines permettant d’enrichir l’uranium). L’uranium restant ne peut être enrichi à plus de 3,67%, un pourcentage suffisant pour un usage civil mais ne laissant pas la possibilité d’un usage militaire.
- Quels ont été ses résultats ?
L’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA), chargée des contrôles internationaux a assuré un respect des clauses de l’accord de la part de l’Iran depuis trois ans.
Sur le plan économique, le bilan est mitigé. Si l’accord a permis l’entrée de devises en Iran, notamment grâce au pétrole, les bénéfices ne se sont pas faits sentir jusqu’au sein de la population iranienne. La levée des sanctions internationales a permis à la République islamique de récupérer 150 milliards de dollars gelés à l’étranger. S’en sont suivis deux ans de relative embellie économique : la Banque mondiale a estimé la croissance iranienne à 5,2% en 2017. Néanmoins, les investissements étrangers et la création d’emplois se font attendre : le chômage des jeunes s’élève toujours à 30% et l’inflation à 10%.
Sur le plan diplomatique, cette levée des sanctions a permis à l’Iran de soutenir le Hezbollah, considéré comme groupe terroriste par les Etats-Unis, les volontaires syriens et libanais.
- Que reproche-t-on à l’accord sur le nucléaire iranien ?
Le JCPOA comporte de véritables failles :
– La non-prolifération de l’arme nucléaire en Iran n’est pas assurée après 2025 ;
– Le programme balistique iranien n’est pas encadré : le pays peut continuer le développement de missiles toujours plus sophistiqués et a la possibilité, lorsque l’accord arrivera à son terme, continuer l’enrichissement de son uranium pour transformer ses missiles en armes nucléaires ;
– La question du rôle déstabilisateur de l’Iran dans la région, et notamment en Syrie, n’a pas été abordée.
- Quelle est la décision de Donald Trump ?
Mardi 8 mai, Donald Trump a annoncé son retrait de l’accord sur le nucléaire iranien, ainsi que le rétablissement des sanctions économiques à leur plus haut niveau vis-à-vis de l’Iran à l’issue d’une période transitoire de 90 à 180 jours. Ces sanctions viseront notamment le pétrole iranien, les transactions en dollars avec la banque centrale iranienne, les exportations aéronautiques vers l’Iran et le commerce de métaux. Ainsi, « tout pays qui aidera l’Iran dans sa quête d’armes nucléaires pourrait aussi être fortement sanctionné par les Etats-Unis. »
« L’accord avec l’Iran est fondamentalement défectueux. Si nous ne faisons rien, nous savons exactement ce qui se produira. Dans un court laps de temps, le premier État parrain de la terreur sera sur le point d’acquérir les armes les plus dangereuses du monde. C’est pourquoi j’annonce aujourd’hui que les Etats-Unis se retireront de l’accord nucléaire iranien. » – Donald Trump (8 mai 2018)
- Quel est l’enjeu de cette décision pour Donald Trump ?
L’enjeu de ce retrait américain du JCPOA peut se résumer à une phrase prononcée par Donald Trump le 8 mai : « La décision d’aujourd’hui envoie un message crucial. Les Etats-Unis ne font plus de menaces vides de sens. Quand je fais des promesses, je les tiens. » Une attaque claire à son prédécesseur Barack Obama, à qui il s’oppose désormais sur un dossier de plus. Donald Trump acte ici une de ses promesses de campagne phare et poursuit sa ligne politique, à savoir « America first ».
- Comment a réagi l’Iran ?
Le Président iranien Hassan Rohani a accusé Donald Trump de pratiquer une « guerre psychologique » et a déclaré vouloir discuter rapidement avec les représentants des pays européens, de la Chine et de la Russie pour continuer à « pleinement bénéficier de l’accord avec la coopération de tous les pays ». Le JCPOA n’est donc pas caduc dans l’immédiat. Hassan Rohani a néanmoins averti qu’en cas de discussions infructueuses, son pays pourrait mettre fin aux restrictions sur ses activités nucléaires.
Du côté de la population, la majorité des Iraniens jugent injuste le retour des sanctions. La décision américaine devrait donc susciter un ralliement nationaliste afin de défendre l’État, malgré une contestation du régime en début d’année.
« J’ai ordonné à l’Organisation iranienne de l’énergie atomique de prendre les mesures nécessaires […] pour qu’en cas de nécessité nous reprenions l’enrichissement industriel sans limite. » – Hassan Rohani (8 mai 2018)
- Quelles conséquences pour l’Iran ?
Sur le plan économique, un effondrement de l’économie est à craindre. Le retour des sanctions va donner un coût d’arrêt aux investissements et au commerce avec l’Europe et va peser sur le secteur pétrolier iranien. Depuis début 2018, la devise iranienne, le rial, a perdu 50% de sa valeur, les sorties de capitaux s’élèvent de 10 à 30 milliards de dollars. Ces facteurs risquent d’alimenter l’inflation et de dégrader davantage une économie déjà fragile.
- Comment ont réagi les puissances du Moyen-Orient ?
Sans surprise, les alliés des Etats-Unis que sont Israël et l’Arabie Saoudite, le grand rival régional de l’Iran chiite, ont apporté leur soutien à la décision américaine.
De son côté, la Turquie a critiqué cette décision unilatérale en estimant que les Etats-Unis seraient « les perdants » d’une telle mesure, car « vous ne pouvez pas vous retirer des accords internationaux quand bon vous semble. » Le président turque Recep Tayyip Erdogan a dit craindre de « nouveaux conflits » dans la région.
La Syrie a apporté son soutien à l’Iran, en dénonçant une « position agressive de l’administration américaine qui affecte la sécurité et la stabilité de la région et du monde. »
- Comment ont réagi les signataires de l’accord ?
Peu après la déclaration de Donald Trump, les puissances européennes signataires de l’accord (l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni) ont publié un communiqué commun. Elles se sont dites « déterminé[e]s à assurer la mise en œuvre » du texte « en maintenant les bénéfices économiques » au profit de la population iranienne.
De son côté, l’Union Européenne a promis de « préserver » le « plan d’action » de 2015 et l’a même qualifié d’« une des plus belles réussites jamais réalisées par la diplomatie ».
La Chine « appelle toutes les parties à agir de façon responsable » pour « revenir dès que possible » au respect du texte qui « contribue à préserver la paix au Moyen-Orient ».
Quant à la Russie, elle s’est dite « profondément déçue » et a dénoncé « une violation grossière des normes du droit international ». Elle a également assuré qu’il n’y avait « aucune raison de saper l’accord qui a prouvé son efficacité ».
Enfin, le prédécesseur de Donald Trump, Barack Obama, a qualifié cette décision de « grave erreur ».
- Un désaveu de la diplomatie d’Emmanuel Macron ?
Emmanuel Macron avait fait beaucoup d’efforts pour tenter de convaincre Donald Trump de se maintenir dans l’accord sur le nucléaire iranien. Il s’agit donc en apparence d’un net désaveu de la politique qu’ont mené les Européens auprès du chef de l’Etat américain.
Néanmoins, Emmanuel Macron avait peut-être déjà prévu ce retrait. Sa proposition d’un nouvel accord lors de sa visite aux Etats-Unis fin avril allait d’ailleurs dans ce sens. Il avait ainsi proposé, aux côtés de Donald Trump, de sauver ce qui pouvait l’être de l’accord actuel et de combler les failles qui y subsistaient (prolongation des clauses après 2025, encadrement du balistique, gestion du rôle régional iranien). Le Président français aurait ainsi pu tenter de poser les bases d’une nouvelle négociation, impliquant les Etats-Unis.
Néanmoins, il ne s’agit pas d’un désaveu complet de la diplomatie menée par Emmanuel Macron. Ce dernier a en effet le soutien des européens sur ce dossier et a gardé une porte ouverte pour un éventuel dialogue avec toutes les puissances impliquées.
Les prochaines semaines seront donc cruciales pour la survie – ou non – de l’accord sur le nucléaire iranien. Si l’Iran ne s’en retire pas ou n’en viole pas les clauses, le JCPOA pourra rester viable. Cependant, si les pressions américaines se font trop importantes sur les entreprises, celles-ci arrêteront d’investir en Iran. La survie de l’accord en serait alors sérieusement menacée.