Le jeudi 19 avril 2018, Miguel Diaz-Canel, issu du Parti Communiste de Cuba (PCC), succède à son mentor Raul Castro au poste de Chef de l’État. Élu par les trente-et-un membres du Conseil d’État, l’unique candidat à la succession semble marquer la fin de l’ère Castro à Cuba. Cette dernière avait débuté par la révolution de 1959 des frères Castro, Fidel et Raul contre le dictateur d’alors, Fulgencio Batista. Cependant, cette élection changera-t-elle la situation de Cuba et le quotidien des habitants de l’île ?
Un héritage communiste toujours omniprésent
C’est donc le jeudi 19 avril 2018 que Cuba est sorti de soixante années de domination castriste pendant laquelle Fidel et Raul Castro ont fait souffler un idéal révolutionnaire sur l’île. Après la promesse d’une « aube nouvelle » pour les cubains, l’URSS fait de Cuba un avant-poste à 200 kilomètres des côtes américaines à partir de 1961. Pendant 30 ans, Cuba vit sous perfusion soviétique : soutien militaire, aide financière et partenariat économique avantageux, Fidel Castro a trouvé un allié de choix face aux États-Unis. En 1991, le modèle communiste est déjà profondément ancré à Cuba, sur le plan économique et culturel. Cette idéologie exerce son influence sur la politique cubaine depuis presque 30 ans.
Après son départ, l’ex-dirigeant Raul Castro conserve ainsi une influence politique toujours importante. En effet, il demeure secrétaire général du PCC et dirigeant de l’armée jusqu’en 2021. Avant son départ, Raul Castro a également placé des officiers supérieurs des forces armées révolutionnaires (FAR), les « raulistas » acquis à sa cause, à la tête des principaux leviers économiques comme le tourisme. Son influence va donc encore peser sur l’île.
Par ailleurs, le nouveau chef de l’État a été largement plébiscité par Raul Castro. Ingénieur de formation, Miguel Diaz-Canel a lentement gravi les marches du pouvoir. Avant de parvenir au plus haut poste de l’État, ce « civil » dôté d’une « solide fermeté idéologique » (Raoul Castro) a occupé les fonctions d’officier des FAR, de dirigeant local et national des Jeunesses communistes. Il est ensuite devenu leader régional du PCC avant d’entrer au bureau politique du parti. En 2009, il fait son entrée au gouvernement en tant que ministre de l’éducation supérieure. Il gravit les échelons en remplaçant des représentants de la vieille garde historique de Cuba, pour être finalement placé au premier rang de la succession présidentielle. Miguel Diaz-Canel ne bénéficie pas de la légitimité historique des précédents leaders révolutionnaires et doit son ascension politique au régime communiste des Castro. Il est inféodé à ce système, auquel il adhère fortement. Jeudi dernier, dans le discours qui a suivi son élection, il déclarait : « Le mandat donné par le peuple à cette législature est de poursuivre la révolution cubaine dans un moment crucial. »
Face à cette « succession autoritaire » (Rafael Rojas, historien cubain) et après plus de soixante ans de dictature, la population cubaine semble résignée à l’immobilisme politique. Malgré les acquis sociaux de la révolution, les cubains restent accaparés par les difficultés quotidiennes. De plus, le gouvernement veille à restreindre toute opposition politique sur l’île : certains sites internet sont bloqués, les SMS échangés entre cubains sont surveillés. Ainsi, un message contenant les mots « sécurité de l’État », « répression » ou « droits de l’homme » pourra ne jamais parvenir à son destinataire. En 2016, 9 940 opposants ont été arrêtés ou interpellés par le régime.
Une impasse économique qui ne permet pas le statu quo
Depuis 1991, Cuba est plongée dans une crise économique de grande ampleur. Entre 1990 et 1993, le Produit National Brut (PNB) cubain chute de 35%. Dans Cuba et l’URSS : 30 ans d’une relation improbable (éd. L’Harmattan), Leïla Latrèche mentionne ainsi un « cercle vicieux de rareté dans lequel la pénurie engendre une pénurie jusqu’aux besoins quotidiens les plus basiques. » Face à cette situation, Fidel Castro décide de s’écarter du modèle communiste en ouvrant l’économie aux capitaux étrangers, aux devises étrangères comme le dollar et au tourisme. Raul, plus pragmatique que son frère, poursuit cette politique. En 2010, il autorise l’exercice par la population de 178 activités à son propre compte. Ce phénomène connaît une croissance exponentielle, bien qu’il ne représente qu’une faible partie du Produit Intérieur Brut (PIB) : 25% de la population est aujourd’hui employée par de petites entreprises privées. En apparence, Cuba se libéralise et l’on pourrait croire que l’héritage castriste est derrière Cuba. Cependant, la situation est plus complexe.
La conversion au marché pose un réel problème idéologique aux dirigeants cubains car la Constitution ne reconnaît pas le secteur privé. Cette politique relève donc du non-dit et présente de nombreuses limites. L’État continue de garder la main sur l’économie et le secteur privé reste embryonnaire. Ainsi, les médecins, informaticiens, journalistes, avocats, enseignants et architectes n’ont pas la possibilité de travailler à leur compte ; les agriculteurs reçoivent des terres gratuitement de la part de l’État mais doivent, en échange, vendre 90% de leur production à bas coût à ce dernier.
Cette politique menée par les frères Castro a fracturé l’égalitarisme mis en place en 1959, sans pour autant permettre la croissance des forces productives. La plupart des cubains ne perçoit pas un revenu suffisant pour subvenir à ses besoins. Le salaire mensuel moyen est de 22,50€ et des habitants reçoivent parfois 8€ par mois seulement. En 30 ans, les écarts de revenus ont été multipliés par 10. Les cubains « luttent » donc, selon le terme pour désigner toutes les formes de débrouillardise, légales ou non. En mars 2018, il était par exemple presque impossible de trouver des œufs dans les magasins d’État, alors que ces derniers se vendaient dix fois leur prix sur le marché noir.
L’un des grands défis de Cuba est aujourd’hui la dualité monétaire, qui représente la collusion entre idéologie et nécessité économique. Il existe sur l’île deux monnaies : un peso convertible en devises étrangères et un autre non convertible. Cette organisation a favorisé une consommation à deux vitesses entre ceux qui ont accès au dollar par leur travail et ceux qui ne sont payés qu’en pesos non convertibles. Miguel Diaz-Canel a donc un choix à faire entre une relative libéralisation de l’économie et un retour au communisme de la révolution.
À Cuba, l’ère Castro pèsera encore longtemps sur le pays, sur le plan économique mais aussi idéologique. Le nouveau chef de l’État Miguel Diaz-Canel s’inscrit dans la continuité de Raul Castro, qui a réussi à assurer son héritage. Une ouverture sur le monde de la part de Cuba semble peu probable dans l’immédiat de par les prises de position de Miguel Diaz-Canel, fervent partisan du communisme. Cependant, la situation économique du pays est complexe et préoccupante. Il est difficile d’imaginer une constante dans les politiques économiques cubaines dans les prochaines années au vu de la crise sans précédent que le pays traverse.