Film historique ? Récit autobiographique ? Véritable leçon de vie ? La nouvelle adaptation cinématographique du roman Un sac de billes (1973) de Joseph Joffo s’inscrit dans ces trois catégories. Le réalisateur québécois Christian Duguay propose ainsi au spectateur un ensemble touchant et efficace qui aborde la fuite de deux frères juifs et plus particulièrement celle du plus jeune, Joseph, avec singularité.
Synopsis : Dans la France occupée, Maurice et Joseph, deux jeunes frères juifs, sont envoyés par leurs parents dans la zone libre, et font preuve de malice, de courage et d’ingéniosité pour échapper aux occupants et tenter de réunir leur famille à nouveau.
Un film historique
Le risque de tomber dans le déjà-vu avec un long métrage comme celui-ci était grand pour Christian Duguay et ses acteurs. Cependant, le film aborde la grande Histoire dans la petite avec un regard neuf et presque pédagogique pour le jeune public auquel cette oeuvre se destine également. Ainsi, la reconstitution des décors et des costumes est très juste. Par exemple, la reproduction du drapeau nazi étendu sur la façade de l’hôtel Excelsior à Nice est impressionnante.

L’hôtel Excelsior lors du tournage d’Un sac de billes (crédit photo : The Times of Israel)
Un sac de billes permet également de prendre davantage conscience de l’impact qu’a eu l’avancée des troupes allemandes sur les familles juives françaises. Par exemple, en juin 1942, lorsque l’étoile jaune est imposée aux Juifs, le quotidien de Joseph et de Maurice est radicalement modifié du jour au lendemain et les deux enfants doivent fuir Paris un jour seulement après l’instauration de cette nouvelle mesure.
De plus, les éléments historiques délivrés au spectateur ne se limitent pas au quotidien des Juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale. Les pogroms de la Russie révolutionnaire sont également mentionnés avec l’histoire du père de Joseph Joffo, Roman qui a du, comme ses propres fils, fuir seul la Russie sous les ordres de son père.
La Résistance occupe également une place non négligeable dans Un sac de billes. On peut relever les épisodes du passeur, de l’internat mais aussi de l’interrogatoire de Ferdinand, un jeune homme juif interprété par Kev Adams, étonnamment crédible dans ce rôle.
Enfin, la joie, l’effervescence mais aussi le désir de vengeance des résistants à la Libération, les violences subies par les ex-collaborateurs occupent une place justifiée dans le long-métrage.
Christian Duguay ainsi que les scénaristes d’Un sac de billes ont ainsi su trouver un juste équilibre entre ces différents éléments historiques pour aboutir à un film assez réaliste… avec cependant quelques nuances à apporter à ce terme. En effet, le film propose une vision très romancée de l’aventure de Joseph et Maurice Joffo qui ferait presque oublier au spectateur que ce récit est une histoire vraie. Néanmoins, cet aspect du récit est sûrement du à une volonté de Joseph Joffo lui-même. L’auteur de l’oeuvre romanesque originale assume sa position et dit avoir édulcoré certains épisodes.
Une véritable leçon de vie
Mais Un sac de billes donne à voir une véritable leçon de vie à son public, qu’il soit jeune ou plus âgé.
Tout d’abord, le combat de Joseph et Maurice Joffo livre un message d’espoir fort dans ce contexte belliqueux, violent et haineux. Pourtant, tout au long du film, les deux frères continueront à se battre. Cette espérance des deux jeunes garçons peut être résumée avec la réplique du Docteur Rosen (interprété par Christian Clavier) à Joseph Joffo dans l’un des moments les plus sombres du film : « Si tu continues à te battre, à tenir ta vie serrée dans ton poing, comme ça, tu vas t’en sortir ».
Ensuite, Un sac de billes aborde le sujet des relations familiales. En effet, la figure paternelle de Roman Joffo, magnifiquement interprété par Patrick Bruel constitue un élément porteur du film. Le père est ainsi omniprésent tout au long du récit dans la mémoire de ses enfants et constitue pour eux un véritable modèle de courage. L’amour de ce père pour ses enfants et la difficulté qu’il éprouve à les faire fuir sont ainsi représentées dans la scène de la gifle, scène d’amour la plus forte du long métrage. On y voit Roman Joffo mimer ce qui pourrait être l’interrogatoire de Joseph face à un soldat nazi. Avec cette gifle symbolique, il apprendra à son fils une leçon essentielle pour le reste de son voyage : « Il vaut mieux prendre une claque qui fait mal plutôt que de perdre la vie parce qu’on a peur d’en prendre une ».

Roman Joffo et ses deux fils (crédit photo : Allociné)
De plus, la relation fraternelle entre Joseph et Maurice, illustrée sur l’affiche du film, donne à ce dernier toute sa beauté. Les deux frères se soutiennent ainsi mutuellement et gardent leur complicité du début à la fin de leur fuite, leur permettant ainsi de conserver leur innocence et leur espoir. Cette relation entre les deux personnages principaux est sublimée par le jeu de Dorian Le Clech (Joseph) et de Batyste Fleurial (Maurice), un duo de jeunes acteurs qui fonctionne à la perfection.
Ainsi, cette épreuve que vont vivre Joseph et Maurice Joffo va les transformer en adultes. En effet, le contraste entre le début et la fin du film est frappant : lors des premières scènes, les deux frères jouent dans les rues de Paris mais le film se clôt sur l’annonce de Maurice à Joseph de la mort de leur père. Le personnage de Joseph prend ainsi de l’épaisseur au cours de son parcours, tout en conservant cette fameuse bille tout au long de son voyage. Cet objet s’abime au fil du temps et devient le symbole de l’enfance perdue de Joseph.
Maurice, quant à lui, évolue vis à vis de son frère. Au départ très protecteur envers lui, il le laissera finalement s’émanciper à l’annonce de la Libération de Paris. Joseph fera alors preuve d’une grande maturité en aidant la famille de collaborateurs qui l’a employé pendant la guerre lorsque celle-ci subit les violences des résistants. Lors de cette scène, Joseph avoue aux habitants de la ville sa véritable religion avec fierté en criant « Je suis Juif » : son personnage prendra alors toute son ampleur et deviendra réellement adulte.
Ainsi, Joseph et Maurice découvrent le monde qui les entoure dans sa beauté, sa bonté, sa médiocrité, son horreur mais surtout dans sa réalité.
Des émotions ressenties limitées
Cependant, quelques limites sont à apporter à cette adaptation cinématographique d’Un sac de billes. En effet, le film peine à trouver une continuité aux yeux du spectateur. Le scénario est assez haché et se divise en deux parties, en deux fuites : la première jusqu’à Nice et la seconde jusqu’en Auvergne. Cette césure coupe la continuité qui aurait été nécessaire à ce film. Ainsi, on ne parvient pas à cerner le véritable début de l’action principale d’Un sac de billes. Faut-il le situer au départ de Paris ? Au départ de Nice ? Par conséquent, dans la seconde partie du long métrage, les émotions ressenties dans la salle sont certes fortes mais limitées en raison de cette césure, principal défaut de l’adaptation.
Au travers de cette nouvelle adaptation du best-seller de Joseph Joffo, Christian Duguay propose donc un long métrage efficace qui suit l’évolution et l’émancipation de deux enfants qui s’opposent à une France pétrie par la peur. Ainsi, Joseph Joffo va jusqu’à lier ce récit autobiographique à la situation actuelle des migrants : « J’espère que le film nous incitera à nous interroger sur le destin de ces enfants et de ces familles déchirées ».